jeudi 15 janvier 2015

Des roses Dior pour le peuple !



* Readers more comfortable in the Bard's language, please head on over to the Oliver + S website for my English version of this tutorial.


La passion que Christian Dior vouait aux fleurs débuta dans son jardin d'enfance à Granville où sa mère s'occupait de cet Eden normand - autant d'aubépines, d'héliotropes, de glycines, de réséda, de pins et de roses qui allaient se révéler être une source inépuisable d'inspiration pour le couturier. L'invention de la femme fleur avec les collections aux lignes Corolle et Tulipe, la palette de couleurs aux noms floraux - rouge coquelicot, jaune jonquille, orange capucine, bleu myosotis ; le muguet cousu dans les doublures et se retrouvant dans les flacons de parfum ou arboré à la boutonnière du couturier ; les bouquets qui s'esquissent en broderie, les fleurettes en soie qui parsèment les jupes et les corsages, tous sont redevables à "la poésie et la magie de ce jardin originel" (Dior en histoires : la passion des jardins et des fleurs). Voir le making of de la robe Mademoiselle Dior en miniature.

Les créateurs successifs de la maison, de Marc Bohan à Raf Simons  épousent sa tradition florale. Une décennie avant de prendre le gouvernail de la maison Dior, Galliano se faisait déjà remarquer par son travail sur les fleurs. Sur cette robe de mariée faite en 1987 pour la costumière Francesca Oddi, aujourd'hui dans les collections du V&A, un mélange de boutons de roses et de fleurs largement écloses en mousseline, en organza et en satin tombe en cascade de chaque côté de l'épaule gauche du vêtement. Si on se livre à un examen plus minutieux, on remarque que non seulement les roses s'accrochent à la surface de la robe mais en émane aussi, ce qui constitue une glose ingénieuse et intelligente sur le drapé et le processus de création.


{photo : Victoria & Albert Museum Collections}

Les roses Dior du tuto qui suit peuvent être façonnées à partir d'une quantité innombrable de tissus, selon le look voulu. Des soies relativement raides et opaques tels le shantung, la faille, le doupion et le taffeta ou le satin Duchesse donneront des roses fermes et robustes alors que les qualités aériennes et transparentes de l'organza, de la marquisette et de l'organdi allégeront la rose. La mousseline de soie et le crêpe de Chine créeront une molle douceur toute en dégringolade et le satin crêpe fera une fleur toute en luxe. Les lins, les laines légères et les cotons feront des fleurs plus sport, plus décontractées. Le tulle et la dentelle donneront quelque chose de novateur et de surprenant. Un mélange de tissus et de couleurs différentes créera des variations chromatiques et de textures subtiles ou détonantes. Ces roses peuvent faire bel usage de tissus peints ou teints à la main (pour ceux que ça intéresse, ces deux livres en anglais me semblent essentiels si on veut se lancer dans la teinture naturelle à la maison et sont particulièrement intéressants pour ceux vivant dans l'hémisphère nord où on ne pense pas à priori trouver des plantes adéquates pour la teinture : "Harveting Color: How to Find Plants and Make Natural Dyes" de Rebecca Burgess et "The Handbook of Natural Plant Dyes" de Sasha Duerr). Un morceau de tissu de 20 x 70 cm est bien suffisant pour la réalisation d'une rose Dior à trois pétales.

Ces roses ont des usages multiples : en plus de servir d'appliqués sur les vêtements, elles peuvent être utilisées en tant que broches, accessoires pour cheveux, décoration de chapeaux et bibis, de même qu'en déco d'intérieur et de fête etc. L'utilisation de tissu pour faire des fleurs est loin d'être une technique novatrice ou originale et elle a été utilisée à de multiples reprises à travers les âges pour enjoliver le vêtement et la forme humaine. Il existe une quantité de méthodes différentes pour les exécuter. Cette méthode est l'une des plus faciles et requiert un minimum de matériel. On me demande parfois ce que ça me fait d'avoir le label "couture" rattaché à ce que je fais - le mot est lourd de connotations intimidantes que je préfère dissiper tout en sachant qu'il suffit souvent d'être francophone en territoire nord-américain pour se voir attribuer ce genre de sobriquet. La "haute couture" signifie plusieurs choses : c'est utiliser les meilleures matières disponibles et faire preuve d'une attention soutenue et intransigeante face au détail, c'est connaître la différence entre ce qui est monnayable dans une économie capitaliste et ce qui est réellement précieux, c'est le refus d'économies d'échelle et de taux de rendements, mais surtout, du moins en ce qui me concerne, c'est maîtriser un maximum de compétences et de techniques manuelles léguées par des générations d'artisans. Je n'ai jamais considéré que ces techniques étaient particulièrement difficiles à maîtriser mais elles demandent du temps et un certain dévouement. Il n'y a rien de plus beau au monde que de participer, en tant que créateurs (à nos échelles différentes) et en tant qu'êtres humains, à notre intelligence manuelle collective.

Passons aux choses sérieuses... La rose ! Cette rose que Dior préférera parmi toutes les fleurs, symbole et souvenir de la roseraie de Granville. La rose classique Dior est une fleur à trois pétales, chaque pétale étant fait à partir de trois formes en amande de tailles différentes. Bien qu'elle puisse sembler un peu fastidieuse à fabriquer dans un premier temps, vous verrez qu'au bout de quelques roses, l’exercice deviendra un véritable plaisir ! 



La rose Dior

Pour faciliter la coupe des formes nécessaires aux pétales, on va fabriquer des gabarits. Vous aurez besoin de ciseaux à papier, d'un crayon, d'une règle graduée et de papier d'imprimante ou de papier cartonné.


Déterminez la taille maximale souhaitée du pétale. Pour les besoins de ce tuto, une forme en amande de 10 x 15 cm a été découpée. Afin de découper cette forme, commencez par tracer une droite de 15 cm de longueur au milieu de votre papier.


Repérez le centre de cette droite et tracez une droite de 10 cm de longueur perpendiculaire à la première et passant par son milieu.


Dessinez une courbe rejoignant une extrémité de la droite de 15 cm à une extrémité de la droite de 10 cm.


Pliez le papier le long de la droite de 15 cm.


Repliez le papier le long de la droite de 10 cm.


Coupez le papier en suivant la courbe tracée.


Vous avez maintenant votre premier gabarit en forme d'amande. C'est le plus grand.


Placez le bord de votre règle graduée en diagonale, à l'intersection des deux lignes de plis de votre premier gabarit et faites un trait pour marquer le droit-fil.


Tracez le contour de votre premier gabarit sur une deuxième feuille de papier. Découpez cette forme et pliez-la en quatre. Repérez et tracez le droit-fil.


Utilisez votre règle graduée et tracez des pointillés à 1 cm des bords de votre deuxième gabarit.


Découpez ce deuxième gabarit en suivant les pointillés.


Vous avez maintenant deux gabarits, un grand et un moyen. Utilisez le deuxième gabarit de taille moyenne et répétez les quelques étapes précédentes pour produire un troisième gabarit, plus petit.


Découpez, dans le tissu de votre choix trois grosses formes en amande, trois formes en amande moyennes et trois petites formes en amande en plaçant les gabarits droit-fil sur le tissu (j'ai utilisé un organza de soie double face d'un rose pâle. L'organza de soie double face est un compromis intéressant entre la transparence d'un organza simple et la fermeté et l'opacité d'une soie plus robuste).


Pliez chaque forme en deux sans appuyer ou marquer le pli car la rose doit garder ses crêtes molles, et cousez deux rangs de fils de fronce à la main ou à la machine à 1 cm et à 0,5 cm des bords bruts des formes.


En commençant avec une des plus petites formes, tirez délicatement sur les fils de fronce, et roulez la forme jusqu'à obtenir un bouton de rose.


Enfilez une aiguille avec un double fil d'une longueur de 25 cm noué par un double nœud à son extrémité. Tenez le centre du premier bouton de rose et tirez les fils de fronce d'une des formes moyennes autour du premier bouton en roulant légèrement pour former le deuxième bouton de rose.


Faites quelques points près de la base de ces deux premiers boutons de rose avec votre aiguille afin de les fixer.


Froncez une des grandes formes autour des deux premiers boutons de rose.


Fixez cette grande forme froncée par quelques points à l'aiguille.


Terminez les bords bruts à la base du bouton de rose au point lancé. Vous avez maintenant votre premier pétale de rose.


Réalisez deux autres pétales de la même façon.


Reliez vos trois pétales entre eux avec quelques points pour former une rose.


Donnez forme à votre rose en écartant les pétales délicatement.


Découpez un cercle dans votre tissu afin de recouvrir la base brute de votre rose. J'ai ici découpé un cercle de 5 cm de diamètre dans mon organza de soie double face. Passez un fil de fronce à la main à 1 cm des bords du cercle.


Tirez sur les fils de fronce délicatement et couchez les bords bruts du cercle vers son centre. Repassez.


Plaquez le cercle, bords bruts vers l'intérieur, à la base de la rose. Fixez par des points invisibles.


Vous pouvez décorer le centre ou les pétales de la rose avec des perles, des plumes ou des grappes de strass.


Une gerbe composée de deux trio de boutons de rose façonnés à partir d'un organza de soie double face rose pâle décore le décolleté et l'épaule d'un chemisier Ice Cream de chez Oliver + S (le chemisier est fait en soie à plumetis blanc cassé). Les roses apportent une touche impressionniste à l'élégante simplicité du chemisier, pouvant faire penser au look Mademoiselle Dior. Un troisième trio de boutons de rose a été cousu sur une barrette, destinée à être porter comme accessoire avec l'ensemble.

samedi 3 janvier 2015

Churchill, les modeuses, quelques souvenirs d'enfance et une robe signée de Castelbajac...


Quand j'étais petite et qu'un bavard inopportun avait le malheur d'aérer ses platitudes à portée de nos oreilles, ma mère nous faisait remarquer que "ce sont les barils vides qui font le plus de bruit". Etant aussi friande des bons mots de Winston Churchill, il lui arrivait d'ajouter, "Si nous sommes maîtres des mots que nous n'avons pas prononcés, nous devenons les esclaves de ceux que nous avons laissé échapper." 

Etant d'un naturel taiseux, je m'étonne toujours de la capacité de ceux qui, ayant été encouragés toute une vie durant à verbaliser tout ce qui pouvait leur passer par la tête, et donc dépourvus de filtre, font l'étalage décomplexé, fier et braillard d'une crasse ignorance. Il suffit d'une déambulation des plus sommaire sur internet en général et sur des blogs de pôv modeuses décérébrées en particulier pour s'en rendre compte. Pour faire une entorse à la boutade de ce cher Pierre, les hémorragies cérébrales sont moins fréquentes chez les modeuses... les cerveaux aussi. 

Novembre dernier alors que sortait le Burda de fin d'année, je suis tombée en pâmoison devant le modèle couturier de Jean-Charles de Castelbajac - une mini robe d'une simplicité déconcertante avec son effet pull surdimensionné et ses poches en cache-cache. En attendant que le numéro arrive chez ma mercière (dans l'Ouest canadien, comptez un minimum de 2 semaines de décalage après la date de parution des magazines... et plusieurs décennies au niveau du progrès social... mais ça c'est un autre chapitre !) j'ai fait l'erreur d'aller flâner sur la toile...

{photo: https://www.facebook.com/burdastyle.fr}

Je n'ai pas été déçue du voyage. Entre autres logorrhées idiotes, cette perle américaine qui déplorait le fait que tous les couturiers dénichés par Burda lui "sont inconnus". L'auteure aurait pu s'arrêter là, on lui aurait pardonné tout en l'enjoignant d'aller s'instruire à l'aide de cette chose merveilleuse que l'on appelle encore le livre. Mais la bêtise est faite pour être creusée. Notre scholiaste se fend donc de cette note explicative : "Je ne sais pas qui c'est que ce Castelbajac. J'imagine que ça doit être un grand nom dans son Allemagne natal. Et puis de toute façon, ces poches sont trop grandes pour le commun des mortels". Que dire ? A part répéter quelques répliques d'Audiard.

Jean-Charles de Castelbajac c'est bien sûr le créateur français à l'activité foisonnante qui oeuvre dans le monde de la mode et de la création depuis plus de quarante ans et qui a habillé bien des personnalités médiatiques (Lady Gaga, Mick Jagger et Elton John entre autres) pour ne rien dire de ses innombrables collaborations avec d'autres artistes dans les domaines du design, de l'habillement, du mobilier et de la musique (Grace Jones, The Sex Pistols). Il expose à l'échelle mondiale, au Palais Galliera, au V&A, au FIT, au MAK et enseignera à la prestigieuse Central Saint Martins School of Design à Londres et à l'Académie des arts appliqués de Vienne. Il sera toujours pour moi lié à l'esthétique de Courrèges chez qui il travaille brièvement de par les formes qu'il préconise qui traduit un sens de l'humour pétillant et sa palette de couleurs fétiches - le blanc, les unis de couleur vive. Je vous encourage à aller faire un tour sur le site du créateur tout en graphisme pop.

La robe "maxi poches" issue de la pré-collection automne/hiver 2014/15 en drap de laine et cachemire bleu foncé est celle qui figure au numéro de Décembre 2014 du Burda Tendances Mode. Cette collection dit s'inspirer du garde-robe des années cinquante du créateur alors qu'il n'était qu'un enfant. Ce clin d’œil nostalgique et régressif est évident dans la forme ample et courte de cette robe au col roulé tel l'éternel pull vert de Gaston Lagaffe.


{photos : http://jc-de-castelbajac.com/}

D'une apparente simplicité, la robe cache d'astucieuses techniques de montage, notamment au niveau des manches raglan et des poches surdimensionnées. Le col, doublé de bourre et quilté, est un joyau tactile et imite intelligemment les côtes d'un pull tricoté.

J'estime que la mode, que le vêtement peut, et doit exister comme témoin et comme objet qui relie et retrace nos expériences collectives en tant qu'êtres humains. Le vêtement ne doit pas continuer à être l'apanage de bougres écervelés et de bougresses gominées qui nous causent tendances jusqu'à l'indigestion, trahissant là leurs propres phobies et complexes et entretenant une relation impersonnelle avec le vêtement, ses procédés de production et niant l'infini gamme de significations qui l'accompagne. Le vêtement est l'un de nos plus anciens actes créatifs. Que l'on crée ou que l'on se contente de le porter, le vêtement fait la chronique de nos engagements à la fois très personnels et plus universels dans des domaines aussi divers que la mémoire, l'imaginaire, l'espace, le temps et l'émotion.

J'ai fait une toile dès que j'ai eu le patron en main. Evidemment ! La version finale ne sera pas bleue mais sera faite en drap de laine rouge. Cette couleur par excellence, "océan", originaire, de la rage, de la guerre, du feu et du sang (écouter l'entretien de Michel Pastoureau à ce sujet sur France Culture) et de l'enfance aussi, du petit chaperon rouge, de la fête, du goût tant attendu des cerises l'été, des framboises mûres qui éclatent par terre dans le jardin de ses parents et des fraises des bois trouvées au hasard des promenades et jalousement gobées avant que son petit frère ne puisse les trouver...






vendredi 2 janvier 2015